Boulevard Longchamp t'as l'air malin, assis sur le banc de l'arrêt de tram. Autour de toi, la vie continue. Il n'est pas encore assez tard pour que les rues se vident.
Les gens te passent devant, te regardent. Les autres
sont soit seuls en mouvement, soit immobiles en groupe. T'es le seul immobile
et tout seul. Tu fais tache.
Tu as quitté la lumière vive et dansante de
l'appartement, de la fête, pour les couleurs orangées des réverbères de
Marseille qui n'éclairent pas si bien
que ça, même sur ce grand boulevard.
Tu te sentais seul dans la foule. Maintenant, t'es
seul. Et sur cette artère fréquentée, tu te sens mal, observé. Visible.
Le grondement du tram. Bouge-toi, monte. Fais quelque
chose.
Où tu vas ?...
Rue Clapier, tu es vivant. Ni le tram, ni le scooter
sans feu ne t'ont percuté.
Pourquoi t'as couru ? Qu'est-ce qui te
prend ? Tu veux être seul ?
La rue est encore trop éclairée. Derrière les
fenêtres, la lumière des lampes. Encore trop visible. Tu fais quoi ? On va
te trouver bizarre à rester devant le lycée des jeunes filles. Bouge.
Rue Jean de Bernardy..., tu marches. La rue est longue, tu ne vois pas
le bout. Des voix derrière. On te suit ?
Seul, et exposé. Chapeau.
Va te cacher.
Au croisement Isoard / Commandants Mages les bâtiments
sont moins hauts. Il y a moins de fenêtres. Des arbres éclairés, sur une
plateforme en hauteur, te font de l’œil.
Mais si haut, tu serais fort. Et tu n'es pas fait pour
être fort.
Trop de voitures arrivent, les phares éclairent la
rue. Rampe.
T'as quand même voulu monter. La rue en pente raide.
Maintenant, t'es crevé. Tu respires fort. Trop de lumière, encore.
Un chat. Les chats sont gentils. Ils ne jugent pas.
Ils ne font pas peur.
Mais les chats sentent ta détresse. C'est lui qui a
peur.
Il part. Tu fais de même.
Tu tournes, et tournes encore.
Le boulevard Flammarion est en travaux et mal éclairé.
Mais il y a encore trop de circulation et de monde. Trop de choses qui te
rappellent que tu es seul.
Le camion de pizza te tenterait presque mais cela fait
longtemps que la bouffe ne remplace plus l'amitié que tu n'as pas.
Au croisement de National, le panneau
« centre-ville » te fait peur. Non, pas le monde, pas les lumières.
Tu rebrousses sur Flammarion. Plus loin sur ton
trottoir, un homme et ses deux minuscules chiens t'effraient. Pourtant, ils
sont petits. Mais ils pourraient aboyer, te remarquer. Faire du bruit.
Tu traverses en courant et sans regarder. La mort te
fait moins peur que les petits chiens.
De l'autre côté, le minuscule parking d'un centre de
contrôle technique auto. Tu te couches derrière le muret, derrière les
voitures. Il y a peu de lumière qui arrive jusque là.
Tu es au sol. Il fait froid. Mais c'est ta place.
Derrière un muret, presque sous les voitures.
Tu fermes les yeux. Il y a de la circulation, et des
gens. Mais ils ne te voient pas. Ils sont près, mais loin. Tu les oublie. Tu
peux les oublier. Tu veux les oublier.
Mais... Tu ne pourras pas rester ici l'éternité, tu sais ?
Si.
Non.
Si.
Non. Le garage va ouvrir. Demain. Ou lundi.
Non.
Comme tu veux. Je te laisse seul ?
Oui.
A plus tard, alors.
Marseille le 22.01.16 ,
" Alex
P"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire